Invité  | | |
|
08:30
Si y a une chose pour laquelle j’suis créatif c’est pour me faire du mal. J’laisse mon réveil à l’autre bout de mon studio pour me forcer à me lever, et ça marche. Un peu trop bien même, en quelques minutes, j’suis levé et prêt à le péter au sol. Mais j’avais été prévenant en poussant le sadisme jusqu’au bout : j’avais choisi le réveil analogique Casio AC-100. Un bibelot des années 80 en forme de petit robot, qui sonnait en tapant des pieds. Un truc assez attendrissant et rare pour que ça me dissuade de le briser et perdre mon temps à le réparer. « Yeah, yeah. Morning, little fucker. »
Je lance ma Mr. Coffee de 86, le temps de nettoyer ma gueule et me décaper les chicos, tout ça pour me les jaunir aux Lucky Strikes juste après. J’enfile une tenue qui allait encore faire rouler des yeux la vieille réac d’en face comme chaque matin.
Juste à temps pour récupérer mon café monter pour le boire à la devanture. Naturellement, la vieille est là, elle râle, scandalisée de voir un “gars” en manteau de fourrure et avec des boucles d’oreilles comme si elle avait pas vécu les années 70. C’est presque romantique, après toutes ces années, je lui fait encore le même effet qu’au premier jour.
Je laisse le froid hivernal finir de me réveiller, j'écrase ma clope sur la poubelle et ouvre le store.
Comme chaque matin, j’me dit qu’il faut que j’fasse quelque chose à propos de ce plancher qui grince, ces murs jaunis, ces lumières qui mettent mille ans à s’allumer. J’arrive pas à me résoudre à rénover. J’soupire et commence à re-stocker.
J’ai récupéré ce lieu à un vieillard, un vrai Bushwicker, born and raised. Un passionné de musique, qui avait vendu des premières copies des plus grand·e·s de la Soul, la Funk, du Blues et de la Disco. Il m’avait raconté les jams improvisées qui avaient eu lieu ici, les couples mariés, les meilleurs ami·e·s qu’il avait vus se rencontrer en parcourant les vinyles, les cassettes, les CDs. Celleux qui étaient venu·e·s le remercier de l’avoir inspiré à avoir commencé une carrière dans la musique, qui venaient chercher leurs samples. C’était une des rencontres les plus enrichissantes que j’avais fait de ma vie, et je me suis senti totalement indigne de reprendre un lieu pareil. Mais il avait insisté. Disait qu’il voyait quelque chose en moi, que je lui rappelait son fils. Il m’avait eu par les sentiments, le bâtard. Bah putain, j’espérais que son fantôme vienne pas voir ce que j’avais fait de l’énergie de ce lieu.
Aujourd’hui Bushwick commencait à se gentrifier, et la clientèle c’est surtout des putains de bourgeois·e·s et “hipsters” qui viennent chercher des vinyles pour les laisser prendre la poussière dans leur salon pour montrer à quel point als sont différent·e·s. Je me console en me disant qu’au moins grâce à eux, la musique analogique survit.
Je lance le lecteur multi-CDs. J’avais fait une sélection funk sympa, mais j’allais changer ce soir, je commençais à saturer d’entendre la même chose.
J'commence à taffer sur les réparations que j’ai à faire.
|
|
